Plusieurs événements et salles du Québec sortent publiquement contre Live Nation/Evenko et leurs festivals au Québec

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Les festivals régionaux du Québec, l’UDA, la Guilde des musiciens et musiciennes du Québec ainsi que les Scènes de musiques alternatives du Québec sont sortis publiquement dans les dernières minutes. Ils interpellent le gouvernement à agir en lien avec les festivals de Live Nation/Evenko.

Les regroupements ont publié deux lettres ouvertes au gouvernement du Québec. Ils critiquent ouvertement les festivals détenus par Live Nation/Evenko au Québec ainsi que l’aide financière qui leur est accordée.

C’est le Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendant du Québec (Le Festif, La Noce, Festival de la Poutine, etc.), L’Union des Artistes (UDA), la Guilde des musiciens et musiciennes ainsi que les SMAQ – Scènes de musiques alternatives du Québec (des salles comme Théâtre St-Catherine, Le Zaricot, Les Pas Perdus, etc.) qui se sont unis contre Live Nation et Evenko. On remet également en question le système de billetterie Ticketmaster qui est aussi détenu par Live Nation.

On sait que Live Nation a acheté 49% des parts d’Evenko en 2019. Cette transaction, un peu passée sous le silence au Québec, a changé le portait événementiel dans la province. Cela fait aussi que Live Nation est propriétaire à 49% des festivals Francos de Montréal, Jazz de Montréal, Osheaga, Lasso et ÎleSoniq.

À noter que le chiffre de 49% est intéressant, puisqu’à plus que cela, l’entreprise ne serait plus considérée comme québécoise et elle ne pourrait plus avoir accès aux différentes subventions publiques du gouvernement.

De mémoire, il s’agit de la première fois qu’autant de regroupements sortent publiquement contre Live Nation/Evenko au Québec.

Le promoteur Live Nation et Evenko n’ont pas réagi à ces deux lettres ouvertes au moment d’écrire ces lignes.

Les 2 lettres ouvertes sont ci-dessous.

Lettre REFRAIN et UDA contre Live Nation

Lettre ouverte pour la souveraineté de notre culture

Les grandes plateformes en ligne américaines monopolisent déjà les secteurs du film et de la musique populaire. Aujourd’hui, c’est au tour des arts de la scène de subir le même sort. En effet, une entreprise multimilliardaire américaine achète, dans de nombreux pays, des salles de spectacles, des festivals et des circuits de distribution. Elle crée également des agences de gestion d’artistes populaires (majoritairement américains) et en assure la promotion à travers son réseau de salles, monopolisant ainsi une grande partie du marché du divertissement.

Cette expansion se fait au détriment des artistes locaux et de tout l’écosystème culturel, que ce soit en France, en Angleterre, en Colombie ou au Canada. Les acteurs de l’industrie culturelle québécoise (et canadienne) tirent la sonnette d’alarme face à l’insuffisance du financement disponible, mais les gouvernements prétendent manquer de moyens. Pourtant, chaque année, des millions de dollars quittent le pays pour gonfler les profits de Live Nation et de ses filiales aux États-Unis. Ces sommes proviennent en grande partie d’activités financées par des subventions publiques : des fonds issus du ministère de la Culture et des Communications, du ministère du Tourisme, de Patrimoine canadien et d’autres organismes gouvernementaux.

Par un montage opaque, ces fonds transitent via des OBNL contrôlés par des entreprises à but lucratif, créant ainsi un détournement indirect des aides publiques vers des intérêts privés étrangers. Cette aberration doit cesser. Le contrôle de Live Nation sur les festivals québécois est particulièrement préoccupant. Par exemple, l’entreprise détient aujourd’hui 49 % des Francos de Montréal, le plus grand festival francophone au Canada, ainsi que du Festival de Jazz, le plus important du pays. Plusieurs autres événements majeurs du paysage culturel québécois sont également sous sa coupe, dont, Montréal en lumière, Osheaga, Ile Soniq, et Lasso. Ce pourcentage de 49 % n’est pas anodin : s’il dépassait ce seuil, ces festivals ne seraient plus considérés comme des propriétés canadiennes et québécoises et deviendraient inéligibles aux subventions publiques. Or, ce stratagème permet à Live Nation de bénéficier indirectement des fonds gouvernementaux destinés à soutenir la culture locale, tout en exerçant une influence significative sur ces événements.

Dans le contexte géopolitique actuel, où un gouvernement supposément ami nous fait une guerre économique, et que les gouvernements se disent prêts à « se battre » pour « protéger notre économie et nos emplois », il est plus que temps pour les différents ministères et organismes subventionneurs de revoir leurs critères afin de s’assurer que l’argent public investi en culture demeure entièrement ici, plutôt que de prendre le chemin des États-Unis. Alors qu’on nous incite à acheter québécois et canadien, à bien lire les étiquettes pour éviter les produits américains, un géant américain occupe une place telle dans notre milieu culturel qu’il est présentement impossible de le contourner.

Soyons clairs : nous ne réclamons pas la disparition des grands festivals, mais nous demandons que leur propriété redevienne entièrement québécoise s’ils souhaitent continuer à bénéficier des subventions publiques. Après tout, si une entreprise américaine cotée en bourse investit dans ces événements, c’est qu’il y a des profits à faire. Pourquoi, alors, les financer avec de l’argent public ? Dans un contexte où plusieurs musées, salles de spectacle et festivals québécois réduisent leur programmation ou ferment leurs portes, avons-nous encore les moyens de soutenir une multinationale milliardaire comme Live Nation ?

Il est impératif qu’une entreprise culturelle ne puisse recevoir de subventions publiques que si elle est à 100 % entièrement québécoise ou canadienne, sans aucune participation étrangère, et qu’elle soit un véritable OBNL, détenu par ses membres et indépendant de toute entreprise privée étrangère.

Alors que nous dénonçons l’omniprésence de la culture américaine imposée par les grandes plateformes, nous finançons paradoxalement une multinationale étrangère qui prend le contrôle croissant de la programmation de nos salles et festivals.

Live Nation est un rouleau compresseur des spécificités culturelles des pays où ils s’installent. Ils inondent le Québec des artistes étrangers faisant partie de leur écurie. L’entreprise est cotée en bourse et a généré, pour l’année 2024 uniquement, 23,16 milliards USD (plus de 30 milliards CAD) de revenus, en hausse par rapport à l’année précédente. En plus de faire face à une poursuite pour pratiques anticoncurrentielles intentée par le département de la Justice américaine et 39 États, sa division Ticketmaster est sous enquête dans plusieurs pays, dont le Royaume-Uni et dans l’Union européenne.

Même au Québec, l’éléphant dans la billetterie est gigantesque. Par exemple, chaque fois que vous réservez vos billets pour la Place des Arts ou au Grand Théâtre de Québec, qui sont deux sociétés d’État relevant du ministère de la Culture du Québec, vous le faites en passant par une solution technologique de billetterie Archtics, qui appartient à Ticketmaster, une division de Live Nation. Ainsi, on peut supposer qu’une part de ces dollars s’en vont directement à cette entreprise américaine, par le biais de frais de licence.

Nous avons ici, au Québec, le pouvoir d’agir concrètement pour valoriser notre culture et réinjecter des deniers publics qui actuellement se dirigent directement dans les coffres d’une entreprise américaine du divertissement.

Plutôt que d’envoyer nos fonds publics à l’étranger, pourquoi ne pas investir dans des initiatives locales? Cessons de valoriser des entreprises qui agissent comme édulcorant de notre culture, il est temps d’être maîtres chez nous.

-Patrick Kearney, directeur général du Regroupement des festivals régionaux artistiques indépendants – Refrain
-Tania Kontoyanni, présidente de l’Union des artistes – UDA
-François Colbert, Titulaire de la chaire de gestion des arts, HEC Montréal

Lettre SMAQ et Guilde des musiciens et musiciennes contre Live Nation

L’industrie québécoise de la musique sur scène traverse une transformation majeure, marquée par une concentration croissante du secteur. Aujourd’hui, plusieurs grandes entreprises dominent le marché, mais aucune n’a autant d’emprise que Live Nation. Cette société américaine cotée en bourse a une capitalisation boursière de 30G $ et contrôle désormais une dizaine de festivals et une dizaine de salles de spectacles dans la région montréalaise. Elle détient également Ticketmaster, le leader mondial de la billetterie, qui gère celles de l’ensemble de ses propriétés. Cette concentration modifie profondément la circulation des artistes et soulève des questions sur l’avenir de notre écosystème musical.

Live Nation a profité de la pandémie pour racheter des salles de spectacles et des diffuseurs en difficulté, tout en bénéficiant d’un investissement significatif du Fonds d’investissement public de l’Arabie saoudite, qui est devenu pendant quatre ans le troisième plus grand investisseur de Live Nation, avec une participation estimée à 500 millions USD.

Une emprise croissante sur l’industrie musicale

Depuis 2019, Live Nation a acquis des parts dans la majorité des grands diffuseurs privés à Montréal, qui présentent parfois des spectacles dans toute la province. Son modèle d’affaires repose sur une intégration verticale, lui permettant de contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur :

La billetterie (via Ticketmaster)
L’organisation de festivals et la gestion de salles
La publicité et le marketing d’événements
La vente de marchandises et les concessions
Dans certains cas, la gestion d’artistes

Cette emprise croissante donne à Live Nation un avantage concurrentiel considérable et pose une question essentielle : quelle place reste-t-il pour les lieux de diffusion indépendants qui présentent plus de 80% des spectacles d’artistes québécois⸱e⸱s en salle dans un marché dominé par un géant omniprésent ?

Le Québec est l’un des derniers territoires occidentaux à être touché par cette transformation, et nous savons déjà où cela pourra mener. Ailleurs en Amérique du Nord et en Europe, les salles indépendantes dénoncent des pratiques anticoncurrentielles. Aux États-Unis, Live Nation et Ticketmaster font l’objet d’une poursuite intentée par le Département de la Justice américaine et 39 États pour pratiques anticoncurrentielles. L’entreprise est également sous enquête au Royaume-Uni et dans l’Union européenne.

Un débat nécessaire, mais souvent évité

Ce sujet est délicat à aborder :

D’abord, de nombreux professionnels de l’industrie ont des collègues, connaissances et ami⸱e⸱s proches qui travaillent chez Live Nation ou ses filiales. Nous savons qu’ils et elles sont talentueux⸱euses et engagé⸱e⸱s. Les individus se soucient de la culture locale, mais leur engagement se dilue facilement dans le système capitaliste dans lequel ils évoluent.

Ensuite, beaucoup doivent maintenir de bonnes relations avec Live Nation : les agents et managers comptent sur eux pour diffuser les concerts de leurs artistes, les technicien⸱nes de scène y trouvent des contrats, et les artistes ont besoin de leurs lieux pour rejoindre un large public. Peu de travailleurs et travailleuses culturel⸱le⸱s osent exprimer publiquement ce qui se dit en privé.

Un enjeu économique qui dépasse la musique

Dans un contexte géopolitique où le gouvernement québécois veut protéger notre souveraineté culturelle, il est temps d’adresser un autre problème majeur : l’argent qui quitte le Québec et qui pourrait être réinvesti pour nos artistes et nos infrastructures culturelles.

Comment garantir un environnement propice à la diversité musicale québécoise si notre argent profite à des actionnaires étrangers, plutôt qu’à notre propre écosystème ?

Live Nation : une menace, mais aussi une opportunité d’agir

Live Nation et ses filiales produisent des événements spectaculaires. Toutefois, la concentration actuelle met en péril un pan essentiel du marché musical : les salles indépendantes et les artistes émergents.

Un équilibre est possible.

Le Royaume-Uni a mis en place un fonds financé par les grands événements en stades et en arénas, afin de garantir la survie des salles indépendantes et de préserver un circuit de spectacles diversifié.

Après une longue campagne menée par The Music Venue Trust, homologue des SMAQ au Royaume-Uni, le gouvernement britannique a soutenu un programme volontaire appliquant un supplément de 1 £ (1,86 $) sur les billets de concerts en stades et arénas. Ce prélèvement sert à soutenir les salles de spectacles, artistes et diffuseurs indépendants.

Un rapport du Comité de la culture, des médias et du sport britannique, publié en mai 2024, avait recommandé cette approche. Avant même la réponse officielle du gouvernement en novembre, plusieurs artistes, dont Sam Fender, Coldplay et Katy Perry, avaient déjà adopté volontairement cette mesure. Le gouvernement a indiqué son intention de légiférer si les efforts volontaires s’avèrent insuffisants.

En tant que communauté de la musique live, nous devons en parler ouvertement et trouver des solutions pour préserver la diversité d’expression qui fait l’identité du Québec. Si Live Nation veut en faire partie, il doit y contribuer concrètement. C’est une question de souveraineté culturelle, de liberté d’expression et d’identité nationale.

Dans un contexte où le gouvernement peine à investir davantage de fonds publics dans la diffusion culturelle, l’exemple britannique offre une piste de réflexion intéressante. Si certaines entreprises américaines souhaitent faire des affaires librement au Québec, pourquoi ne pas exiger qu’elles montrent l’exemple en étant les premières à contribuer à un fonds dédié à la survie des lieux de diffusion indépendants et aux artistes qui animent leurs scènes ?

Un appel à l’action

Ce texte n’est pas un plaidoyer contre les grandes tournées ni contre celles et ceux qui les organisent. C’est un appel à agir : les salles indépendantes sont en danger, et il est de notre responsabilité collective d’y remédier.

Lorsque des géants de l’industrie génèrent un impact négatif, on leur demande de contribuer à maintenir un équilibre. Pourquoi ne pas appliquer cette même logique au spectacle vivant ?

Jon Weisz
Directeur Général
Les SMAQ

et

Vincent Seguin
Président
Guilde des musiciens et musiciennes du Québec

*

Bref, ce sera à suivre dans les prochains jours/semaines. Le gouvernement n’a pas, non plus, fait suite aux lettres ouvertes pour le moment.

Pendant ce temps, voici la liste complète de tous les festivals de musique au Québec en 2025.

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